Le tremblement de terre en Haïti et ses atroces conséquences ont mis les Haïtiens à terre. Mon ami Alain Mabanckou, écrivain français installé à Los Angeles, devait se trouver à Port-au-Prince pour le festival Etonnants voyageurs. Il connaît bien Haïti, aussi présente dans son oeuvre ( Black Bazar, aux éditions du Seuil, évoque continûment l'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert) que dans son coeur. Je reproduis ici le texte qu'il adresse à ses lecteurs français via le site de l'hebdomadaire Le point (lepoint.fr).
Haïti. Cette patrie a toujours dit non tout au long de son histoire. Cette patrie a battu les records de coups d'Etat et même de coups d'éclat. C'était toujours face à l'homme. C'était toujours face à "l'insoutenable légèreté de l'être". Duvalier. Le père. Le fils. Papa Doc. Bébé Doc. Les tontons macoutes.
La première République noire survivait, redressait la barre et se remettait à la peinture, à la chanson, à la littérature, à la philosophie, à la médecine. En littérature, cela nous a donné de grands noms : Jacques Stephen Alexis, René Depestre, Emile Ollivier, Edwige Danticat, Davertige, Jean Metellus, pour ne citer que ceux-là qui sont connus en Europe avec le binôme actuel, Dany Laferrière et Lyonel Trouillot... Quand Haïti allait mal, on se disait : "Vous allez voir, c'est souvent comme ça avec ces Haïtiens, ils finiront par s'en sortir sans convoquer leurs dieux vaudous." Et ils s'en sortaient. Et ils renverseraient le cours des choses. Et puis on avait oublié la nature.
Le séisme s'est invité en monarque absolu. Poussière. Gravats. Fumée.
On avait oublié ce qui se trame dans les profondeurs terrestres. Préfaçant la seconde édition du recueil Idem (Seghers, 1964) de Davertige, l'un des plus brillants poètes haïtiens, Alain Bosquet intitulait son avant-propos : "Un séisme : Davertige". Une prémonition ? Non. Le séisme est revenu sans Davertige, mort dans la plus haute des solitudes à Montréal. Car, il ne faut pas l'oublier : en Haïti les séismes viennent des hommes de lettres. Ils viennent d'une littérature volcanique, éruptive et incandescente. Nous avons eu l'exemple cette année avec le couronnement de Laferrière par le Médicis, de Trouillot par le prix Wepler et de Yannick Lahens par le prix RFO.
La nature a voulu donc gâcher cette ambiance alors que depuis presque plus de deux siècles, elle ne s'était pas acharnée de la sorte sur les descendants de Toussaint Louverture et de Dessalines. Elle a pris en otage et les Haïtiens et les étrangers qui s'étaient déplacés du monde entier à l'occasion du festival Etonnants Voyageurs prévu à Fort-de-France du 14 au 17 janvier. Ce festival n'aura pas lieu, le séisme s'est invité en monarque absolu. Poussière. Gravats. Fumée. Tout y est. Les Haïtiens ne verront pas la lumière pendant un temps. Ils devront se contenter de l'imaginer. "L'imagination s'entraîne. Ce qui ne s'entraîne pas, c'est l'émotion." C'est une formule de Laferrière.
Aujourd'hui, je sais que le mot "émotion" est plus fort que "l'imagination". Parce que la nature s'est liguée contre un peuple qui est aussi le mien. Parce que mon meilleur ami ne me donne plus de ses nouvelles. Parce que nous ne nous écrivons plus tous les jours comme nous le faisions depuis des années. Parce que je refuse le luxe de la lumière de mon appartement pendant que dans les décombres des quartiers populaires de Port-au-Prince le genre humain est en train d'être broyé, concassé. Parce que ce peuple m'a donné la force de dire non, de crier ma négritude, y compris dans les ténèbres. Parce que j'ai lu avec "émotion" L'Enigme du retour de cet ami et que je croyais qu'aucun autre séisme n'aurait pu le surpasser. Parce que je me sens de plus en plus Haïtien. Pour le meilleur et pour le pire.
Haïti. Cette patrie a toujours dit non tout au long de son histoire. Cette patrie a battu les records de coups d'Etat et même de coups d'éclat. C'était toujours face à l'homme. C'était toujours face à "l'insoutenable légèreté de l'être". Duvalier. Le père. Le fils. Papa Doc. Bébé Doc. Les tontons macoutes.
La première République noire survivait, redressait la barre et se remettait à la peinture, à la chanson, à la littérature, à la philosophie, à la médecine. En littérature, cela nous a donné de grands noms : Jacques Stephen Alexis, René Depestre, Emile Ollivier, Edwige Danticat, Davertige, Jean Metellus, pour ne citer que ceux-là qui sont connus en Europe avec le binôme actuel, Dany Laferrière et Lyonel Trouillot... Quand Haïti allait mal, on se disait : "Vous allez voir, c'est souvent comme ça avec ces Haïtiens, ils finiront par s'en sortir sans convoquer leurs dieux vaudous." Et ils s'en sortaient. Et ils renverseraient le cours des choses. Et puis on avait oublié la nature.
Le séisme s'est invité en monarque absolu. Poussière. Gravats. Fumée.
On avait oublié ce qui se trame dans les profondeurs terrestres. Préfaçant la seconde édition du recueil Idem (Seghers, 1964) de Davertige, l'un des plus brillants poètes haïtiens, Alain Bosquet intitulait son avant-propos : "Un séisme : Davertige". Une prémonition ? Non. Le séisme est revenu sans Davertige, mort dans la plus haute des solitudes à Montréal. Car, il ne faut pas l'oublier : en Haïti les séismes viennent des hommes de lettres. Ils viennent d'une littérature volcanique, éruptive et incandescente. Nous avons eu l'exemple cette année avec le couronnement de Laferrière par le Médicis, de Trouillot par le prix Wepler et de Yannick Lahens par le prix RFO.
La nature a voulu donc gâcher cette ambiance alors que depuis presque plus de deux siècles, elle ne s'était pas acharnée de la sorte sur les descendants de Toussaint Louverture et de Dessalines. Elle a pris en otage et les Haïtiens et les étrangers qui s'étaient déplacés du monde entier à l'occasion du festival Etonnants Voyageurs prévu à Fort-de-France du 14 au 17 janvier. Ce festival n'aura pas lieu, le séisme s'est invité en monarque absolu. Poussière. Gravats. Fumée. Tout y est. Les Haïtiens ne verront pas la lumière pendant un temps. Ils devront se contenter de l'imaginer. "L'imagination s'entraîne. Ce qui ne s'entraîne pas, c'est l'émotion." C'est une formule de Laferrière.
Aujourd'hui, je sais que le mot "émotion" est plus fort que "l'imagination". Parce que la nature s'est liguée contre un peuple qui est aussi le mien. Parce que mon meilleur ami ne me donne plus de ses nouvelles. Parce que nous ne nous écrivons plus tous les jours comme nous le faisions depuis des années. Parce que je refuse le luxe de la lumière de mon appartement pendant que dans les décombres des quartiers populaires de Port-au-Prince le genre humain est en train d'être broyé, concassé. Parce que ce peuple m'a donné la force de dire non, de crier ma négritude, y compris dans les ténèbres. Parce que j'ai lu avec "émotion" L'Enigme du retour de cet ami et que je croyais qu'aucun autre séisme n'aurait pu le surpasser. Parce que je me sens de plus en plus Haïtien. Pour le meilleur et pour le pire.
Alain Mabanckou
Je vous invite à vous rendre sur son nouveau blog: http://blackbazar.blogspot.com/qu'il met régulièrement à jour et où vous pourrez trouver d'autres textes sur cette terrible tragédie.
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